Abbey Road : le chant du cygne et la route vers l’éternité
Il y a des albums qui ferment une époque comme on claque une porte avec grâce. "Abbey Road", sorti en septembre 1969, est cela : la fin majestueuse d’un rêve collectif.
Les Beatles ne s’entendaient presque plus, et pourtant, jamais leur musique n’avait sonné aussi fluide, aussi lumineuse. Dans le tumulte des années 60 finissantes, ce disque fut un adieu sans larmes, un salut au monde avant la dislocation.
Tout ici respire l’art accompli. Les harmonies vocales, ciselées comme des vitraux. Les guitares de Lennon et Harrison, qui se répondent comme deux voix d’une même prière.
Et puis McCartney, architecte du fameux medley de la face B, cette suite miraculeuse où les fragments s’enchaînent en une seule respiration, comme si le groupe voulait tout dire avant de se taire. “Because”, suspendue dans l’air, semble flotter entre terre et cosmos ; “Come Together” ouvre le bal avec son groove visqueux, presque animal ; “Something”, offrande de Harrison, atteint une pureté mélodique que même les anges auraient enviée.
Et que dire de cette production ? George Martin y érige un temple de sons : basse ronde, guitares mordantes, synthétiseur Moog naissant, batterie pleine d’espace. Les studios EMI deviennent un navire cosmique, propulsé par la nostalgie d’un futur déjà perdu.
Quand on voit ces quatre silhouettes traverser la rue, on croit encore à l’unité. Mais Abbey Road est déjà un épilogue. Un chef-d’œuvre d’équilibre entre la perfection technique et la fragilité humaine. Le dernier instant avant la chute, et peut-être, justement, pour cela, le plus beau des adieux.

