After the Gold Rush : la poussière, l'or et le murmure d'une nation désenchantée
Ce n'est pas un album, c'est une aquarelle sépia, le journal intime d'une Amérique qui sort de l'ivresse des sixties avec une gueule de bois existentielle.
Nous sommes en 1970, le rêve s’est fissuré à Altamont, et l’onde de choc des fusillades de Kent State traverse le pays. Young est là, plus prophétique que jamais, son regard perçant capturant la désillusion ambiante.
Le son. Ah, le son de cet album ! Oubliez la grandiloquence du rock de stade. Ici, tout est dépouillement, une pureté presque ascétique. Le piano dissonant de “After the Gold Rush” lui-même, ce chant funèbre pour un âge d’or révolu, nous plonge immédiatement dans une mélancolie spectrale.
La production est minimaliste, mais chaque craquement de la voix, chaque note de guitare acoustique résonne avec une clarté bouleversante. C’est l’essence du country-folk-rock : une guitare sèche, un harmonica (la respiration du désert), et cette voix unique, ce filet aigu et tremblant qui semble porter le poids de l’histoire.
L’histoire raconte que Young, souvent en butte aux musiciens de studio, a capturé une grande partie de ces chansons dans l’ambiance décontractée de son home studio, le fameux Broken Arrow Ranch.
Ce manque de polissage est sa force brute. On sent l’air frais et la solitude des Rocheuses. Et puis, il y a “Southern Man”. C’est un coup de poing dans la gorge, la chronique cinglante du racisme du Sud que Lynyrd Skynyrd lui renverra, des années plus tard, avec “Sweet Home Alabama”. Le disque qui n’a peur de rien.
Pour moi, l’énigme de cet album réside dans l’équilibre entre la douceur de mélodies comme “Tell Me Why” et la violence sous-jacente des thèmes. C’est la plus grande qualité de Young : être à la fois le poète fragile et le chroniqueur politique impitoyable. Il a écrit la B.O. de la fin de l’utopie. C’est plus qu’une référence ; c’est le point de départ de tout le songwriting introspectif des années 70. Un chef-d’œuvre de désarmement émotionnel.

