Albums : Forever Changes, la beauté fragile du chaos
1967. Le Summer of Love déborde d’optimisme, mais Arthur Lee entend déjà les craquements sous la peinture psychédélique.
Forever Changes n’est pas un album de paix et d’amour, c’est une apocalypse en technicolor. Comme si la fin du monde avait trouvé une guitare acoustique, une trompette mariachi et des cordes élégantes pour danser sur ses ruines.
Chaque chanson est une énigme. La voix de Lee - inquiète, ironique, parfois prophétique - flotte au-dessus d’arrangements baroques où les guitares folk s’entrechoquent avec des orchestrations dignes de Burt Bacharach sous acide.
“Alone Again Or”, ouverture sublime, ressemble à une carte postale ensoleillée, mais le soleil brûle trop fort. La lumière coupe.
L’album fut enregistré dans une atmosphère tendue : le groupe miné par la drogue, Lee persuadé qu’il allait mourir bientôt. Cette urgence suinte dans chaque note. La production, signée Bruce Botnick, garde un équilibre miraculeux : sophistication extrême mais toujours au bord de l’effondrement. On dirait un château de cristal construit au milieu d’un tremblement de terre.
La première écoute laisse perplexe. La seconde fascine. Et puis, à la troisième, on comprend : Forever Changes est moins un disque qu’un état mental, une vision de Los Angeles au crépuscule, belle et vénéneuse, où l’utopie hippie se dissout déjà dans le goudron. C’est peut-être l’album qui résume le mieux 1967 : pas le rêve, mais le doute.
Toujours vivant. Toujours déroutant. Comme un miroir qui ne ment jamais.