:: Banane et velours : la morsure électrique du Velvet Underground
En 1967, une banane sérigraphiée explose comme une bombe silencieuse sur la pochette d’un disque qui n’en est pas vraiment un : The Velvet Underground & Nico est plutôt un manifeste déguisé en album.
Derrière la voix spectrale de Nico et la morgue new-yorkaise de Lou Reed, c’est tout un siècle d’art dégénéré qui se met à vibrer - du bruit blanc de John Cale à la pulsation sale de Maureen Tucker.
Ici, le rock n’est plus une fête mais une seringue plantée dans la veine jugulaire de l’Amérique policée. Heroin, I’m Waiting for the Man - autant de chroniques chantées d’un underground qui s’étend comme une tache d’huile sur la respectabilité pop des Beatles et la fureur aseptisée des Stones.
Les guitares grincent, les voix murmurent ou râpent, la production est brute, presque maladroite : tout cela dit “non”. Non aux refrains sucrés, non aux studios trop propres, non à la morale.
On y entend déjà, sous la couche de feedback, l’ébauche de tout ce que le punk, le noise et l’indie copieront sans jamais égaler cette urgence maladive.
Rarement un disque aura autant déjoué son époque pour façonner l’avenir : la Velvet, ignorée hier, vénérée demain.
Sous la provocation, il reste pourtant une beauté étrange, fragile, qui suinte de Femme Fatale ou Sunday Morning. Un chant funèbre pour le rêve hippie, un baiser empoisonné sur les lèvres de la pop. C’est un disque qui respire le sexe et la mort, l’art et la sueur, l’avant-garde et la rue. En 1967, tout le monde regardait vers San Francisco - le Velvet, lui, plantait son couteau dans le bitume crasseux de New York.