Best of Collectors : Abraxas - Santana
Il y a des albums qui ne s’écoutent pas, ils se traversent. "Abraxas" (1970) est de ceux-là.
Dès les premières notes de "Singing Winds, Crying Beasts", on sait que quelque chose bascule : la musique cesse d’être un produit, elle devient transe, collision de cultures, électricité mystique. Carlos Santana et son groupe posent là un manifeste : le rock n’est pas un territoire réservé aux guitares blanches du blues électrique, il peut dialoguer avec l’Afrique, l’Amérique latine, le jazz, la soul, et inventer une langue neuve.
Contexte : Woodstock vient d’achever la décennie 60 dans un nuage de poussière et d’utopie. Le monde vacille entre révolutions avortées et illusions psychédéliques. Santana surgit comme un chaman urbain : il joue avec la ferveur d’un prêcheur, mais ses sermons passent par la caisse claire et la conga. "Black Magic Woman/Gypsy Queen" n’est pas seulement une reprise : c’est une révélation, où le désir devient rituel païen.
Musicalement, l’album est un équilibre instable, donc parfait : orgue liquide, percussions incendiaires, guitares acides mais toujours chantantes. "Oye Como Va" transforme une composition de Tito Puente en hymne planétaire. "Incident at Neshabur" balance entre free jazz et rock progressif, comme si Coltrane avait croisé Hendrix dans une ruelle de San Francisco. Et puis ce groove : une chaleur qui colle à la peau, comme une danse sous un soleil trop fort.
Personnellement, chaque fois que j’écoute Abraxas, j’ai l’impression de rouvrir un livre sacré dont les pages brûlent entre les doigts. Rien d’ancien ici : c’est un disque qui reste incandescent, qui parle de désir, de foi, de vertige. Une musique qui ne cherche pas la perfection mais la possession.
Réécoutez-le fort, fenêtres ouvertes : les dieux dansent encore.