Best of Collectors : Grace - Jeff Buckley
Quand "Grace" paraît en août 1994, l’industrie rock est encore dominée par les guitares distordues du grunge et l’attitude désabusée héritée de Nirvana.
Dans ce climat saturé de rage et de désenchantement, Jeff Buckley ose l’exact contraire : un album incandescent, fragile, traversé par une voix à la fois céleste et terriblement humaine. Fils d’un père mythique et absent - Tim Buckley - il refuse la simple filiation et invente son propre territoire sonore.
Grace n’est pas un disque facile : c’est une plongée vertigineuse dans l’intime, un mélange d’extase mystique et de sensualité douloureuse. Les compositions originales - de la beauté déchirante de Lover, You Should’ve Come Over à la violence contenue de Mojo Pin - révèlent un artiste habité. Mais c’est aussi dans les reprises que Buckley bouleverse : son interprétation de Hallelujah métamorphose la chanson de Leonard Cohen en une prière séculaire, devenue depuis l’une des versions les plus célèbres au monde.
Musicalement, l’album refuse les étiquettes. Rock, folk, soul, jazz, blues : tout s’y entremêle avec une fluidité désarmante. L’accompagnement, toujours précis mais jamais démonstratif, laisse respirer chaque inflexion vocale. Et cette voix, capable de s’élancer vers des sommets presque opératiques avant de retomber dans un murmure, demeure l’arme absolue de Buckley.
Près de trente ans plus tard, Grace reste un météore : unique, insaisissable, éternel. C’est un disque qui ne se contente pas de traverser le temps : il le suspend.