:: Blood on the Tracks : le sang des sentiments
Blood on the Tracks est plus qu’un album : c’est une plaie béante mise en musique.
En 1975, Dylan revient avec une œuvre à vif, débarrassée des masques ampoulés de ses années 60, pour livrer ce qui ressemble à une confession, mais qui n’est jamais tout à fait autobiographique. C’est là tout le génie de l’album : faire croire à l’intime tout en s’abritant derrière la fiction.
Musicalement, c’est une épure. Adieu les grands ensembles, place à une folk resserrée, rustique, presque crue.
La production vacille parfois, comme hésitante, mais c’est dans ces failles que se glisse l’émotion. Guitare acoustique, basse moelleuse, touches d’orgue ou de slide guitar : tout est là pour soutenir une voix qui ne chante plus, mais qui raconte, implore, accuse, se remémore. Dylan ne joue pas le drame ; il l’incarne.
Chaque morceau est un monde. Tangled Up in Blue, ouverture kaléidoscopique, pulvérise la chronologie pour mieux exprimer la confusion du souvenir. Simple Twist of Fate est une miniature déchirante sur les bifurcations de la vie.
Et Idiot Wind ? Un coup de scalpel dans l’amour devenu guerre. Les paroles, ciselées, acides, tendres ou cruelles, rendent l’album universel - parce qu’il ne s’adresse à personne en particulier, mais parle à tout le monde.
Quarante ans plus tard, Blood on the Tracks n’a rien perdu de sa force. Il continue de saigner, lentement, dans le cœur de ceux qui l’écoutent. Parce qu’il dit la vérité d’un mensonge, ou l’inverse. Parce qu’il rappelle que l’art le plus poignant naît parfois du chaos amoureux - quand les mots échappent au contrôle et que la musique ne panse rien, mais expose tout.