:: Blur : l’art de la déchirure pop
Il fallait être là, dans l’Angleterre poisseuse du début des années 90, pour comprendre d’où vient Blur.
Quatre garçons esthètes, sortis d’arts plastiques et d’écoles de banlieue chic, jouant les mods de la classe moyenne comme d’autres prennent le masque du punk. Damon Albarn éructe en dandy contrarié, Graham Coxon cisaille la mélodie à la hache noise, et derrière, la rythmique est plus rigide qu’un fonctionnaire du rail.
Au départ, c’est une réaction. Contre le shoegaze et ses nappes lâches, contre l’hégémonie yankee du grunge. Blur veut du tranchant, des contours. Modern Life Is Rubbish (1993) est une déclaration de guerre culturelle : Ray Davies croise Syd Barrett sous Prozac. Puis Parklife (1994) explose : hymnes de stade déguisés en sketchs absurdes, ironie sur fond de synthés cheap et de riffs dandy. La Grande-Bretagne chavire, recrache son thé sur Oasis, et la Britpop devient religion.
Mais Blur, eux, prennent peur. Peur du succès, peur de devenir ce qu’ils dénonçaient. Alors Coxon prend la main : Blur (1997) est sale, américain, schizophrène. Une fuite en avant sublime. 13 (1999) pousse l’introspection jusqu’à l’auto-destruction, entre bruit blanc et confession lacrymale. Blur n’est plus un groupe, c’est une tension permanente, un combat d’égos et d’obsessions.
C’est cette violence retenue qui les rend essentiels. Leur musique n’est jamais apaisée. Même les tubes sont traversés d’un malaise : sous les chœurs de Girls & Boys, la solitude de l’ère digitale. Sous les guitares de Song 2, une moquerie des stades qui l’acclameront.
Blur est le groupe qui n’a jamais voulu être le groupe de son époque - c’est pour ça qu’il l’a incarnée avec autant de douleur.