Bob Dylan : le prophète aux mille masques
Il débarque à New York avec une guitare cabossée et un harmonica qui grince comme une porte d’église hantée.
On l’attendait en héraut du folk, en nouveau Guthrie à la voix de sable et de fer ; il a préféré devenir un incendie. Dylan n’est pas un chanteur, c’est une métamorphose permanente.
Le choc survient à Newport, en 1965. Quand il branche sa Fender Stratocaster, le larsen déchire le velours de la tradition. Traître pour les puristes, génie pour l’histoire. Sa voix, ce phrasé nasal et syncopé, étire les mots jusqu’à leur point de rupture, transformant la poésie beat en munitions radiophoniques.
Dans la pénombre des studios de Nashville ou de New York, il capture l’instant pur, refusant souvent la perfection pour lui préférer l’urgence du premier jet, celle qui transpire encore l’odeur du bitume et du tabac froid.
Écouter Dylan, c’est accepter de se perdre dans un labyrinthe de références bibliques, de blues poisseux et de surréalisme électrique. Il a redéfini ce qu’un texte de chanson pouvait porter : non plus de simples rimes, mais le poids du monde, l’absurde des puissants et la solitude du vagabond. Il reste ce sphinx insaisissable qui, même après soixante ans de route, semble toujours avoir une longueur d’avance sur sa propre légende. Une déflagration continue.

