:: Born to Run : nés pour s’enfuir
En 1975, Bruce Springsteen livre “Born to Run” comme on claque une porte en feuillure : avec rage, panache et un besoin viscéral d’évasion.
C’est plus qu’une chanson. C’est une déclaration d’urgence. Un opéra de ruelle où les moteurs hurlent comme les cœurs, où l’amour n’est pas une promesse mais une planche de salut.
Springsteen, alors gamin du New Jersey hanté par le rock de Phil Spector et les poètes de la Beat Generation, forge ici son propre mur du son. Guitares, saxophone, tambours, claviers : tout concourt à cette montée extatique vers l’inconnu. L’arrangement est baroque, démesuré, presque trop, mais c’est précisément cette démesure qui fait battre le morceau - comme une ville trop grande pour soi.
Dans ce cri d’espoir, il y a le rêve américain à nu, sans illusions : “Tramps like us, baby we were born to run.” Non pas pour conquérir, mais pour fuir. La routine, la misère, l’ennui. Springsteen ne propose pas une solution, juste une échappée. Et c’est déjà immense.
À sa sortie, Born to Run électrise une génération paumée entre le Vietnam et la récession. Springsteen devient, en une nuit, la voix de ceux qui n’en ont pas. L’Amérique du bitume, des stations-service et des amours écorchés tient enfin son hymne.
Aujourd’hui encore, le morceau résonne avec la même intensité. Parce que chacun, un jour ou l’autre, rêve de démarrer la voiture sans se retourner. Et parce que Bruce, lui, l’a fait en hurlant à la lune.