:: Charles Mingus : le chaos souverain
On l’entend avant de le comprendre : Charles Mingus, c’est la fureur taillée dans la grâce.
Né en 1922, frappé dès l’enfance par la ségrégation, Mingus n’a jamais courbé l’échine. Son contrebasse est un bélier, ses doigts cognent le bois comme on cogne une porte qu’on veut enfoncer. Il a inventé un jazz debout, rageur, qui piétine les étiquettes : be-bop, hard-bop, free - rien de tout ça ne suffit à l’enfermer.
Mingus est un orchestre à lui seul. Il gueule ses partitions, insulte ses musiciens, les pousse au bord de l’asphyxie, jusqu’à arracher l’étincelle : une note crie, une autre gémit, et soudain la cacophonie devient cathédrale. Better Git It in Your Soul, Haitian Fight Song, Goodbye Pork Pie Hat : trois prières, trois coups de poing. Chaque morceau est un champ de bataille où blues, gospel et swing s’entrelacent comme les câbles d’un pont prêt à rompre.
Son héritage est partout : Coltrane lui doit son souffle incendiaire, Zappa sa liberté, les punks son esprit insoumis. Mingus ne voulait pas être une légende, mais un cri perpétuel. Ses mots sont des uppercuts - “Jazz is a word invented to separate musicians from their money.” - et sa musique, une barricade.
Aujourd’hui, on rejoue Mingus pour se rappeler que la beauté n’est jamais docile. Il reste un fantôme tapageur, qui surgit quand le jazz se croit sage. Écouter Mingus, c’est consentir au tumulte, accepter que la dissonance est parfois plus vraie qu’un accord parfait. Dans chaque coup d’archet, un espoir, une révolte. Et toujours ce chaos souverain, qui, depuis sa tombe, continue de danser.