Collectors : Tommy - The Who
1969. Le rock vient de franchir une ligne rouge. Avec "Tommy", les Who ne livrent pas seulement un disque : ils inventent une mythologie.
Un gamin sourd, muet et aveugle devient prophète grâce au flipper. C’est grotesque ? Peut-être. Mais c’est surtout la première fois qu’un groupe ose déplier le rock sur la durée, le charger de symboles, l’élever au rang d’opéra. Et le public, lui, bascule.
Ce n’est pas seulement un album concept. C’est une fresque sonore. Pete Townshend tricote ses riffs comme des leitmotivs wagnériens, John Entwistle soutient avec une basse reptilienne, Keith Moon explose chaque mesure comme si le temps lui brûlait les mains, et Roger Daltrey, transfiguré, hurle et incarne Tommy jusqu’à la déchirure. L’électricité devient langage, la batterie devient récit, la voix devient incantation.
En studio, l’ambition est folle. 75 minutes de musique, une narration tordue, des morceaux qui oscillent entre violence brute (Sparks, Pinball Wizard) et méditation quasi religieuse (See Me, Feel Me). Les critiques d’alors hésitent : chef-d’œuvre visionnaire ou délire mégalo ? Peu importe. Les Who viennent d’ouvrir une porte : derrière eux s’engouffreront Pink Floyd, Genesis, Bowie. Le rock peut désormais prétendre raconter, durer, engloutir.
Mais Tommy n’est pas seulement une prouesse. C’est un vertige. Écouter l’album aujourd’hui, c’est tomber dans une transe où les guitares tracent des éclairs et où la batterie devient tonnerre. C’est comprendre que le rock, à cet instant précis, cesse d’être une révolte juvénile pour devenir une religion.
Un enfant qui ne voit pas, n’entend pas, ne parle pas, mais qui devient gourou d’une génération : il fallait l’oser. The Who l’ont fait. Et depuis, le rock n’a plus jamais été le même.