:: Daydream Nation : électricité sale
1988. New York. Dans les friches post-punk, Sonic Youth érige un monument électrique : "Daydream Nation". Plus qu’un disque, une carte sismique d’un rock en ruines, prêt à muter.
Écouter ces morceaux, c’est arpenter un terrain vague où guitares dissonantes et feedbacks contrôlés dessinent des cathédrales de bruit.
Les riffs s’étirent, grincent, se brisent. La batterie de Steve Shelley claque comme une porte métallique battue par le vent. Thurston Moore et Lee Ranaldo tordent leurs six cordes comme on refait le monde - de travers, de biais, par l’angle mort. Kim Gordon, voix spectrale et basse rampante, envoûte ce chaos d’une nonchalance sulfureuse.
Teen Age Riot ouvre le bal comme un hymne à l’anarchie adolescente : neuf minutes d’utopie électrique, fragmentée, saturée d’espoir et de désillusion. Tout l’album respire l’Amérique crépusculaire de Reagan, l’ombre des lofts crades, les clubs enfumés où l’avant-garde new-yorkaise recolle les morceaux du Velvet Underground et de Television.
À l’époque, l’industrie s’en fout. Les radios passent Guns N’ Roses, pas ces dingues aux accordages impossibles. Mais Daydream Nation s’infiltre : un virus sonique qui contamine Nirvana, Pavement et tout un pan du rock alternatif. Sa liberté formelle - ces jams de dix minutes, ces drones hallucinés - ouvre la voie au noise, au grunge, à un rock moins poli, plus honnête.
Plus de trente ans plus tard, on y revient comme à une bible hérétique : pas un disque parfait, mais une nation rêvée - un territoire où le chaos devient art, où le bruit devient poésie, où l’électricité sale rallume la rage.