:: Doolittle : la beauté dans la déflagration
Sorti en 1989, Doolittle est un séisme. Pas un raz-de-marée qui emporte tout sur son passage, non.
Un séisme souterrain, dévastateur à retardement, qui fissure l’édifice du rock à la fin des années 80. Le punk est moribond, le metal s’embourbe, la pop devient clinquante - et voilà qu’un quatuor de Boston crache un disque d’une violence raffinée, saturé d’images bibliques, de schizophrénie douce, de réverbérations malsaines.
Le monde qu’ouvre Doolittle est à la fois grotesque et sublime. Dans “Debaser”, la guitare lacère tandis que Black Francis hurle son admiration pour Buñuel. Sur “Wave of Mutilation”, la beauté se loge dans le ressac des accords. Chaque morceau est un fragment d’angoisse transformé en art brut. C’est crade et c’est gracieux.
Musicalement, le disque est un chef-d’œuvre de contraste : la tension entre les hurlements primaux et la voix cristalline de Kim Deal, les guitares abrasives et les mélodies pop qui affleurent malgré tout. Steve Albini avait sculpté la brutalité sur Surfer Rosa ; Gil Norton polit ici le chaos sans le domestiquer.
L’influence de Doolittle ? Totale. Sans ce disque, pas de Nevermind, pas de Radiohead, pas de toute une génération qui a appris qu’on pouvait hurler à la mort et faire danser les anges dans la même chanson. L’album ne cherche pas à plaire : il bouscule, intrigue, mord.
Aujourd’hui encore, Doolittle n’a pas vieilli. Il palpite, saigne, respire. C’est une mèche allumée dans une pièce fermée. On y revient pour l’explosion.