:: Electric Ladyland : électricité totale
1968. Le monde tangue, vacille, hurle. Et au milieu de ce fracas, un disque surgit, "Electric Ladyland", troisième et dernier acte de la comète Hendrix Experience.
Plus qu’un album, un manifeste psychédélique où Jimi Hendrix, sorcier en chemise de satin, réinvente la guitare comme on explose un safe.
Ici, tout est démesure : 16 morceaux pour 75 minutes de dérive cosmique. Hendrix se débarrasse des formats, étire le blues, noie la pop sous l’acide et la fuzz. L’ouverture, “…And the Gods Made Love”, sonne comme une prière électrique : distorsions liquides, gémissements de câbles, Hendrix ne joue plus, il sculpte l’air.
“Voodoo Chile” - 15 minutes de transe marécageuse, jam nocturne qui avale Muddy Waters et Cream dans le même riff. “Crosstown Traffic” gicle comme un tube proto-punk : trois minutes de wah-wah arrogante. Et puis “All Along the Watchtower”, reprise de Dylan qui devient apocalypse électrique. Chaque solo est un uppercut cosmique, chaque bend, une convulsion.
Mais Electric Ladyland est plus qu’une performance technique. C’est un miroir déformant du chaos de 68 : guerre du Vietnam, LSD en perfusion, liberté sexuelle. Hendrix convoque le blues du delta et la révolution à guitare saturée. Il fait chanter l’Amérique noire sur les ruines de l’innocence hippie.
Derrière l’orgie sonore, on entend aussi un contrôle maniaque. Hendrix pilote tout, empile les prises, modifie les bandes. Le studio devient un vortex. On n’écoute pas Electric Ladyland : on s’y perd, happé par ces larsens qui claquent comme des orages.
Plus de cinquante ans plus tard, l’onde de choc vibre encore. Chaque feedback, chaque solo est un rappel : le rock, quand il se souvient qu’il est dangereux, peut encore changer le monde.