:: Éperdu, électrique : le cri de Layla
“Layla”, c’est l’amour devenu une arme blanche, un cri planté dans le mix.
En 1970, Eric Clapton, métamorphosé, s’efface derrière un groupe sans visage - Derek and The Dominos - pour hurler à demi-mot son obsession pour Pattie Boyd, épouse de George Harrison. Un triangle amoureux gravé dans le marbre blues-rock, entre tabou et incandescence.
La chanson est scindée en deux mouvements : la première partie, brutale, presque convulsive, martèle un riff devenu légende, surgissant comme un coup de klaxon dans une nuit trop longue. L’héritage de Duane Allman (slide guitar, tragiquement disparu peu après) plane sur cette intro : chaque glissando est une caresse désespérée. Clapton ne chante pas, il implore. Il n’interprète pas : il se dépouille.
Puis, sans prévenir, le morceau bascule - la coda, signée Jim Gordon, étire l’émotion dans un piano mélancolique, en suspension. Là, plus de rage : juste le silence après la tempête, la gueule de bois sentimentale. On croit entendre Clapton pleurer sans mots, dans chaque note suspendue. C’est là que Layla s’arrache au simple format rock : elle devient confession, tragédie, catharsis.
Le morceau n’eut qu’un succès modeste à sa sortie. Trop cru, trop long, trop vrai. Il faudra attendre les années 80 pour que la culture de masse le récupère, édulcoré par les compils et les radios FM. Mais à l’origine, Layla n’est pas un slow de bal de promo : c’est une lettre d’amour interdite, un blues en sanglots.
Écouter Layla, c’est toucher du doigt l’instant précis où le rock cesse de séduire pour commencer à brûler.