Exile on Main St. : les Stones dans la poussière du mythe
Il y a des disques qui sentent la sueur, le sang et la fuite. "Exile on Main St.", sorti en 1972, est de ceux-là.
Les Rolling Stones se sont exilés dans le Sud de la France pour échapper au fisc britannique, mais c’est surtout à eux-mêmes qu’ils tentaient d’échapper. Dans les sous-sols moites de la villa Nellcôte, entre seringues, amplis et nuits sans fin, ils ont forgé un monument sale et sublime.
Musicalement, c’est un maelström. Blues, gospel, country, rock’n’roll s’y mélangent dans une orgie de sons saturés et de voix étouffées. “Rocks Off” ouvre la danse dans un chaos maîtrisé, “Tumbling Dice” roule comme un sort jeté, et “Loving Cup” lève son verre à tous les excès. Rien n’est net, tout est vivant. La production est trouble, les guitares se frôlent, la batterie respire, et c’est précisément cette imperfection qui fait la magie.
À sa sortie, l’album dérouta. Trop long, trop brut, trop flou. Mais le temps en a révélé la grandeur : Exile n’est pas un disque à écouter, c’est un lieu à habiter. On y entre comme dans un rêve américain vu depuis un sous-sol européen, moite, déglingué, hanté.
Écouter Exile on Main St., c’est rouler sur une route poussiéreuse à l’aube, sans savoir si le jour se lève ou s’effondre. C’est le moment où le rock cesse d’être un style pour devenir une foi, vacillante mais indestructible.

