France : Fantaisie militaire - Alain Bashung
Il y a des disques qui ne vieillissent pas parce qu’ils n’ont jamais appartenu à leur époque. "Fantaisie militaire" (janvier 1998) en fait partie.
À l’heure où la chanson française hésitait entre pose rock et rengaine variété, Bashung a ouvert un autre passage : un son spectral, sensuel, traversé de fantômes et de fièvres intérieures. Un disque comme un champ de bataille émotionnel.
En studio, Jean Lamoot bâtit une architecture sonore à la fois dense et mouvante, où chaque note semble respirer. Édith Fambuena et Jean-Louis Pierot - moitié du duo Les Valentins - insufflent leur magie : des guitares qui frissonnent, des claviers qui se dissolvent dans la brume. Dave Bascombe polit l’ensemble avec une élégance presque anglaise, tandis que Jean Fauque tisse les paroles comme on rêve : entre clairvoyance et vertige.
“La nuit je mens” en est le cœur battant : confession trouble, poème à demi ivre, où l’aveu se fait mensonge et le mensonge, vérité. Bashung y chante comme on tombe. Ailleurs, sur “Dehors”, “Ode à la vie” ou “Samuel Hall”, il erre dans un territoire flou, entre mélancolie et résistance. On dirait un homme qui avance dans un rêve dont il ne se réveillera pas.
Tout Fantaisie militaire est là : un mélange de guerre intime et de grâce suspendue. La production, à la fois charnelle et électronique, donne l’impression d’un monde qui se délite sous nos pieds - et Bashung, impassible, regarde la beauté se fissurer.
Un disque de vertige et d’abandon. Un chef-d’œuvre qui fait de la douleur un art du sublime. Vingt-cinq ans plus tard, on ne l’écoute pas, on y entre - comme dans une forêt qu’on n’a jamais vraiment quittée.