France : Marquis de Sade : Rue de Siam
Il y a dans Rue de Siam quelque chose de tranchant, d’aristocratique et de sale à la fois.
Sorti en 1981, ce deuxième album de Marquis de Sade est un couteau froid planté dans le cœur de la new wave française. À l’époque, la scène hexagonale cherche encore son souffle après le punk, et ces Rennais sortent du brouillard avec une allure de dandy sous amphétamines.
Les guitares y sont sèches comme des nerfs, la basse vibre d’un funk post-industriel, la batterie martèle une tension urbaine. Philippe Pascal, lui, ne chante pas : il déclame, il crache des visions en clair-obscur, entre spleen baudelairien et paranoïa moderne.
Sa voix, élégante et désespérée, se promène dans des ruelles humides où les néons découpent les visages. On pense à Joy Division, à Magazine, à Bowie période Heroes, mais tout cela filtré par une mélancolie bretonne, une pluie sur les pavés de Rennes.
La production, signée au studio d’Hérouville, donne à l’album une allure de film noir. Chaque morceau semble issu d’un rêve froid où la beauté se cogne à la désillusion. Set in Motion Memories, Rhythmiques, Ici Berlin… des titres qui claquent comme des cartes postales de la décadence européenne. On sent l’Europe de 1981 : Thatcher, Mitterrand, la guerre froide, les boîtes new wave où les corps dansent avec distance.
Rue de Siam reste un sommet : un disque tendu, nerveux, d’une élégance meurtrière. Trente ans plus tard, il brûle encore - comme ces disques rares où la peur, le style et la grâce s’embrassent dans la même nuit électrique.
Marquis de Sade n’a pas simplement fait de la musique : il a inventé une façon française d’être moderne, sombre, et terriblement chic.