Frenchies : Histoire de Melody Nelson - Serge Gainsbourg
Ce n'est pas un album, c'est un accident. En 1971, Serge Gainsbourg ne chante plus, il "déclare" une tragédie miniature, un poème symphonique pop de moins de 28 minutes.
Une durée absurde pour une œuvre qui a redéfini la musique française. Le succès commercial fut un échec retentissant, la France n’était pas prête pour cette descente en apnée dans le velours noir de l’obsession. Il a fallu attendre que les Anglais, de Massive Attack à Portishead, samplent l’âme de ce disque pour que son génie soit enfin acté.
L’innovation est partout, signée de l’arrangeur visionnaire Jean-Claude Vannier. Il y a cet ostinato de basse écrasant d’Herbie Flowers (qui jouera sur “Walk on the Wild Side” peu après), une pulsation lancinante qui tient l’auditeur sous hypnose. C’est l’essence même de la tension. Puis, il y a les cordes : pas de simple nappage, mais un orchestre de trente musiciens de l’Opéra de Paris, les violons hurlant, les violoncelles gémissant, enveloppant le récit d’une aura de néo-expressionnisme.
Le mythe de la pochette, Jane Birkin, ventre rond sous son singe en peluche, incarnation de l’adolescente-muse, se prolonge dans l’ambiance studio. Gainsbourg, s’inspirant de “Lolita”, mais bloqué par Nabokov, a dû ciseler ses textes mot par mot.
On dit qu’il a supprimé un morceau juste pour que l’album atteigne la durée ésotérique de sept pistes. L’impact est immédiat, brutal : la collision initiale (”Tu t’appelles comment ? Melody... Melody Nelson“) est un coup de foudre, un coup de cymbales. La fin, “Cargo Culte“, est une apocalypse jazz-rock où le mythe du Boeing 707 explosé tente de ramener l’amour perdu.
Un chef-d’œuvre qui n’a pas pris une ride, car il n’a jamais été de son temps.

