Frenchies : Initials B.B. - Serge Gainsbourg
1968. Paris brûle sous les pavés tandis que Serge Gainsbourg, le génie à la gueule de métèque, s’apprête à consumer son propre mythe pour renaître en pygmalion tragique.
Cet album n’est pas une simple collection de chansons, c’est un séisme intime, le deuil flamboyant d’une idylle avec Bardot transformé en symphonie pop. Dès l’ouverture, on est frappé par cette science du télescopage : Gainsbourg pille Dvořák pour en extraire une sève vénéneuse, mariant le classicisme européen à la nervosité du swinging London.
La production est un tour de force d’ingénierie sensorielle. Les basses sont lourdes, mates, presque menaçantes, portées par les arrangements de l’orfèvre Arthur Greenslade. On y entend l’innovation pure : des orgues Hammond qui pleurent, des percussions tribales et ce phrasé “talk-over” qui préfigure le rap avec vingt ans d’avance. En studio, l’ambiance est électrique, Gainsbourg exige la perfection dans la douleur, cherchant à capturer l’écho d’un cœur qui se brise entre deux bouffées de Gitanes.
À l’écoute, j’ai toujours l’impression de traverser une galerie de miroirs déformants où l’élégance la plus pure côtoie la provocation la plus crue. C’est l’album de la bascule. Gainsbourg abandonne définitivement la rive gauche pour plonger dans le psychédélisme et l’érotisme de grand chemin. Un disque charnière. Un monument de mélancolie chromée.

