:: Ghost Town : dub sur la ville
Juin 1981. Les émeutes grondent à Brixton, Toxteth, Handsworth. L’Angleterre thatchérienne se fissure sous la colère des laissés-pour-compte.
Et dans ce chaos surgit Ghost Town des Specials, comme un cri étouffé, une chronique urbaine noyée dans la brume du dub.
Le morceau est hanté. Par une ville sans âme, des clubs fermés, des jeunes sans avenir. La ligne de basse, lente et obsédante, tourne en boucle comme une sirène dans la nuit. L’orgue grinçant semble sorti d’un vieux film d’horreur, pendant que la voix de Terry Hall scande avec détachement un désespoir brûlant.
Ce n’est pas seulement une chanson : c’est un polaroïd sonore de l’Angleterre dévastée. Un reggae spectral, claudiquant, qui vacille entre résignation et rage.
Musicalement, c’est un coup de maître. Le groupe, alors au bord de l’implosion, trouve ici une alchimie noire : ska, dub, jazz free. Tout est dissonant, malade, poisseux. Le silence y pèse autant que les notes. C’est une ville vidée de sa vie, mais pleine de tension.
Ghost Town devient numéro un au moment précis où Londres brûle. Pas une coïncidence : un miroir. Le punk avait crié sa colère. Les Specials, eux, la murmurent, la fredonnent en écho dans les rues désertes. Ils n’explosent pas, ils s’effondrent lentement.
Quarante ans plus tard, Ghost Town ne vieillit pas. Parce que ses fantômes sont toujours là. Crise économique, fracture sociale, jeunesse sacrifiée : la bande-son d’un éternel retour. Une chanson comme un graffiti sur un mur lépreux. Impossible à ignorer. Impossible à effacer.