:: Gimme Shelter : l’orage sous la peau
1969. L’Amérique saigne, vacille, rêve de paix et vomit la guerre. Pendant que les hélicoptères napalmisent le Vietnam, Jagger et ses Stones sculptent leur cri primal : "Gimme Shelter".
Trois minutes quarante d’apocalypse rampante, une prière sous acide pour qui cherche un abri dans la tempête.
Tout commence par cette guitare spectrale, riff de fin du monde signé Keith Richards, exhalé comme un orage qu’on sentirait gonfler au loin. Puis la batterie de Watts, plus martiale que jamais, bat la mesure d’un cortège funèbre où défilent meurtres, viols et incendies. Sur cette coulée de lave blues-rock, la voix de Jagger déraille, suppure, appelle au secours sans vraiment y croire.
Et puis Merry Clayton surgit. Inattendue, elle arrache le micro, pousse un hurlement qui déchire la bande. Son “Rape, murder! It’s just a shot away” n’est pas qu’un chœur : c’est une gifle aux illusions hippies. La légende veut qu’elle ait enregistré enceinte, en pleine nuit - et que sa voix ait brisé ses cordes vocales pour un temps. On jurerait l’entendre saigner entre deux riffs.
Gimme Shelter n’est pas qu’un hit. C’est le revers sombre de Woodstock, la vraie bande-son d’Altamont, ce festival-chaos où un jeune homme tombera sous les coups de couteau des Hell’s Angels, recrutés comme service d’ordre. Le rêve d’amour et de fleurs s’est fracassé sur la violence brute - et ce morceau l’a gravé dans le marbre.
Aujourd’hui encore, à chaque écoute, on y entend la guerre, les rues en feu, la peur qui rampe. Et au cœur du fracas, cette supplique : Gimme Shelter. Donnez-nous un abri. Personne ne l’a jamais trouvé.