Highway 61 Revisited : la grande bascule
Sorti en août 1965, "Highway 61 Revisited" est bien plus qu’un tournant : c’est une déflagration.
Dylan, fraîchement excommunié par les puristes folk pour son virage électrique à Newport, transforme la colère en carburant. Dès le coup de canon de "Like a Rolling Stone", il annonce qu’il ne jouera plus selon les règles des autres. Plus question de sagesse acoustique ou de ballades pastorales. Ici, le rock devient littérature, la poésie se branche sur secteur.
Le titre de l’album, emprunté à une route mythique du Sud, est une ligne de fracture entre l’Amérique profonde et ses fantômes. Dylan y convoque les figures bibliques, les losers magnifiques, les absurdités modernes, avec un regard ironique, prophétique, parfois hallucinatoire. Chaque chanson semble naître dans l’urgence, tendue, saturée, mais toujours précise. La production brute d’Al Kooper et Mike Bloomfield enveloppe la voix nasale du chanteur dans un déluge d’orgues, de guitares hurlantes et de batteries claquantes.
"Ballad of a Thin Man", avec son ambiance trouble et ses vers assassins, sonne comme un procès contre l’ignorance bien-pensante. "Desolation Row", en clôture, rompt avec l’électricité mais pas avec la densité : un long poème visionnaire où les personnages se croisent dans un cirque absurde et magnifique.
Avec cet album, Dylan dynamite les frontières entre genres, entre high et low culture, entre prophète beat et star rock. Highway 61 Revisited n’est pas un album de transition : c’est une prise de pouvoir. Et 60 ans plus tard, la secousse n’a toujours pas cessé de résonner.