:: Hound Dog : hurler l’Amérique
C’est un cri. Un aboiement électrique. En 1956, "Hound Dog" jaillit comme une claque donnée à l’ordre moral.
Elvis Presley, 21 ans, sort ce titre repris à Big Mama Thornton - une femme noire qui l'avait rugi en 1952 avec une douleur âcre, sexuelle, foudroyante. Presley l'épile, le blanchit, le rend radio-compatible, mais pas inoffensif. Car ce n’est pas une simple reprise : c’est une bombe travestie en twist.
La batterie tape sec, la guitare mâche les accords comme un chewing-gum nerveux, et Elvis… Elvis aboie, ricanant sur une Amérique engoncée dans ses carcans. Derrière l’apparent refrain teenage se cache un fauve. Ce garçon blanc au bassin déréglé ne chante pas seulement à une femme trompée - il éructe face à l’hypocrisie des adultes, à la morale chrétienne, à l’Amérique de papa. C’est le rock’n’roll qui arrache la soutane du pasteur pour dévoiler le désir brut, l’incontrôlable.
Hound Dog, c’est l’irruption de l’inconscient dans les charts. Ce n’est pas une chanson : c’est une faille. Les ados dansent, les parents hurlent au scandale, et l’industrie comprend qu’il y a de l’or dans la peur. Presley devient le mythe, l’ange et le démon, le voleur de feu.
Ce morceau n’est pas l’invention du rock. Mais c’est peut-être la première fois qu’il regarde l’Amérique droit dans les yeux et lui rit au nez. Et ce rire, nerveux, désinvolte, est resté imprimé sur vinyle. On l’entend encore. Il ne vieillit pas. Parce qu’il ne parle pas seulement d’un chien. Il parle de nous tous, et de ce qu’on essaie de faire taire.