Hunky Dory : l'homme qui a vendu le monde et qui acheta les étoiles
Il y a des disques qui ne font pas que sortir ; ils apparaissent. "Hunky Dory" (1971), c'est ça.
Pas encore la foudre Ziggy, mais déjà l’éclat, la lumière éblouissante d’un David Bowie qui comprend enfin que son génie est de n’être personne, pour être tout le monde. L’album est un pivot, l’instant précis où le troubadour baroque se mue en icône pop absolue. Il s’ancre dans un Londres post-hippie, prêt pour le glam, mais il regarde bien plus loin, vers les États-Unis de Warhol et de Dylan, qu’il salue d’ailleurs sur l’incroyable face A.
La production, souvent jugée “simple”, est en réalité d’une complexité limpide. C’est le premier coup de maître avec le guitariste Mick Ronson, dont les arrangements de cordes sur “Life on Mars?” ne sont pas de l’habillage, mais de la haute couture émotionnelle. L’utilisation du piano (Rick Wakeman était aux claviers !) n’a jamais été aussi centrale et aérienne dans l’œuvre de Bowie. C’est le son d’un artiste en pleine possession de son pouvoir mélodique, balayant les hésitations passées. Écoutez “Quicksand”, le dégradé est total : du folk onirique à la menace épique en quelques accords.
On raconte que Bowie était si confiant et prolifique durant les sessions aux Trident Studios qu’il jetait littéralement les morceaux les plus faibles à la poubelle, un luxe qu’il n’avait jamais eu. C’est le disque de la révélation familiale (la chanson titre est un hommage à son fils, Zowie), mais aussi de la peur intime (The Bewlay Brothers, vertigineux). La presse l’a d’abord ignoré, trop occupé par les dinosaures du rock.
Quelle erreur. Cet album, c’est l’intelligence pétillante de la pop érudite, une collection de pépites qui prouvent que l’art peut être profond sans jamais cesser d’être immédiat. Un chef-d’œuvre.

