Illinois : la cathédrale de verre et d'origami
Il y a des albums qui ne sont pas des disques, mais des continents. "Illinois" est l'un d'eux.
Ce n’est pas l’Amérique, c’est une Amérique rêvée, tissée, chantée avec une ferveur démesurée et une précision d’entomologiste. En 2005, dans le paysage indie rock post-millénaire, dominé par l’urgence garage ou la mélancolie lo-fi, l’ambition démesurée de Sufjan Stevens, livrer l’histoire, la géographie, l’âme de l’Illinois à travers un orchestre de chambre baroque et des boîtes à rythmes, tenait de la folie douce.
La première écoute de “Concerning the UFO Sighting Near Highland, Illinois” est un choc de textures. Rien n’est laissé au hasard. La signature vocale de Stevens, fragile et désarmante, flotte au-dessus d’une architecture musicale symphonique : des cuivres de fanfare, des chœurs angéliques, des arpèges de piano dignes de Satie, et des changements de mètre et de tonalité qui défient la pop (pensez au crescendo épique de “Come On! Feel the Illinoise!”).
Le disque est enregistré presque entièrement dans son studio new-yorkais, armé de dizaines d’instruments et de boucles numériques étonnamment austères qui contrastent avec l’opulence orchestrale.
L’impact est culturel : Stevens devait faire les 50 états. Le projet était une blague, bien sûr, mais elle a réussi à ré-enchanter l’idée même de l’album concept en le rendant intime et mythologique à la fois. C’est l’anti-rock, une symphonie pop où les fantômes d’Abraham Lincoln côtoient les tueurs en série (la terrifiante et pourtant douce “John Wayne Gacy, Jr.”). C’est cette collision imprévue entre la grandeur du récit américain et la précision fragile de l’artisanat pop qui rend Illinois essentiel. C’est un chef-d’œuvre de patience et de dévotion. Un album cathédrale, où chaque vitrail raconte une histoire.

