Innervisions : la vision intérieure de Stevie Wonder
Dès la première note, on est projeté dans un autre univers : celui d’un jeune génie afro-américain de 23 ans qui, en 1973, décide de ne plus être l’enfant prodige de la Motown mais un homme libre.
Avec Innervisions, son troisième grand album d’auteur après Music of My Mind et Talking Book, Stevie Wonder transforme la soul en champ de bataille spirituel et politique. Chaque chanson est un fragment de conscience, un miroir tendu à l’Amérique.
Le contexte : début des années 70, fin des illusions, désillusion urbaine, racisme toujours brûlant. Stevie quitte Detroit, construit son propre espace sonore, s’empare des synthétiseurs (le gigantesque T.O.N.T.O. : The Original New Timbral Orchestra) et repense tout. Il veut peindre avec des sons.
Dans ce laboratoire, “Living for the City” devient un drame miniature : bruits de rue, dialogues enregistrés, groove implacable. Le destin d’un jeune Noir happé par le rêve de New York et dévoré par le système. C’est à la fois reportage et prière électrique.
Techniquement, c’est vertigineux : Wonder joue presque tout, produit, arrange, empile les couches comme un architecte. Sur “Higher Ground”, écrit en une heure, le clavinet rebondit comme une balle d’énergie pure, et la voix martèle une vérité mystique : “Gotta keep on tryin’…” - entre transe et résurrection. Et soudain, il s’adoucit : “All in Love Is Fair”, fragile, presque désarmé. “Too High” s’envole dans une funk vaporeuse, dénonçant les mirages chimiques.
Quelques jours après la sortie, Stevie est victime d’un accident de voiture qui le plonge dans le coma. Il en sort transformé : Higher Ground devient prophétie.
Innervisions n’est pas un simple album : c’est une clairvoyance. Un disque qui te regarde pendant que tu l’écoutes. Un rêve lucide gravé dans la cire.


