:: Johnny B. Goode : l’électricité noire de l’Amérique
Tout commence par un riff. Tranchant, irrésistible, fondateur. "Johnny B. Goode" (1958) n’est pas seulement une chanson de Chuck Berry, c’est une mise à feu.
Trois minutes qui électrisent l’Amérique, une nation encore fracturée, encore hésitante à laisser parler sa jeunesse - surtout quand elle est noire.
Dans ce morceau, tout vibre : la guitare en avant, comme une décharge de pure invention, le piano qui galope, la batterie qui martèle une route imaginaire vers le succès. Berry y déploie son art du storytelling : Johnny, gamin pauvre du Sud, “could play a guitar just like ringing a bell”, et rêve de voir son nom en lettres de feu. C’est la première mythologie rock, celle de l’outsider talentueux qui va renverser le monde par la force d’un ampli.
Mais sous l’énergie euphorique, le morceau distille une tension raciale et sociale palpable. Berry, bien avant que le rêve ne devienne mainstream, écrivait déjà l’histoire d’une Amérique qui voulait s’ignorer : celle où un garçon noir rêverait d’être reconnu à égalité sur les ondes blanches. D’ailleurs, Berry avait d’abord écrit que Johnny était “a colored boy” avant de se censurer.
Musicalement, Johnny B. Goode est un précipité de génie : blues rural, swing urbain et urgence électrique s’y croisent. C’est la sève du rock, reprise, copiée, pillée. Hendrix l’a incendiée, les Stones l’ont sanctifiée, Back to the Future l’a sacralisée.
Il y a un avant et un après cette chanson. Et dans cet entre-deux, un gamin de Louisiane a inventé un monde nouveau. Guitare à la main, rage dans les doigts, et un rêve trop grand pour l’époque.