:: Kanye West : le chaos comme chef-d’œuvre
Kanye West est une faille spatio-temporelle à lui seul.
Quand “The College Dropout” déboule en 2004, l’Amérique post-11 septembre tangue encore, le rap peine à sortir du bling-bling, et lui rappe son humanité crue, ses failles, ses egos gonflés de blessures. Dès ces premières mesures, Kanye fracasse la norme : gospel, soul échantillonnée, beats qui grincent comme des portes de cathédrale. Il met ses tripes sur MPC et vend ses névroses à la radio.
Il faut comprendre Kanye comme un artiste du désordre. Il sculpte ses albums comme des crises de foi. “My Beautiful Dark Twisted Fantasy” est peut-être le dernier grand disque mégalomaniaque du XXIe siècle : une orgie symphonique où le rap se prend pour Wagner et Prince en même temps. Chaque couplet est un coup de scalpel dans la psyché : sexe, pouvoir, chute, rédemption. Avec lui, chaque note saigne.
Mais Kanye, c’est aussi le miroir déformant de l’Amérique : star planétaire, fossoyeur du politiquement correct, marchand de chaos. Son génie est de transformer chaque scandale en geste artistique, chaque tweet en happening dadaïste. Même ses échecs, ses dérives, deviennent partie de l’œuvre. On ne sait plus où finit la musique, où commence la performance.
Techniquement, Kanye reste un maître du sample, un orfèvre du mix. Il a compris que le rap n’est pas qu’un flow : c’est un champ de bataille sonore, où cohabitent Nina Simone et Daft Punk, un gospel numérique qui veut sauver le monde en le brûlant.
Kanye West est insupportable, fascinant, détestable, indispensable. Il est ce qu’il manque à une pop trop sage : une fracture.