Le Meilleur de 1961
1961 n'est pas une année, c'est un soupir de velours avant le vacarme. Le monde retient son souffle.
Le rock polit ses chromes dans une innocence instrumentale, tandis que le jazz bascule dans une dimension sacrée, presque religieuse. C’est le son de l’élégance terminale. On cherche l’absolu dans une note tenue, on invente le silence, on électrise la mélancolie. La révolution est là, mais elle porte encore un costume trois-pièces.
Sunday at the Village Vanguard - Bill Evans Trio
Ici, le temps s’arrête physiquement. On entend le cliquetis des verres et le murmure des spectateurs, inconscients d’assister à un miracle. Ce n’est pas du jazz, c’est une conversation télépathique au bord du précipice. Scott LaFaro, dont la basse chante comme un violoncelle ivre de liberté, joue sa vie quelques jours avant de la perdre sur une route sombre. Bill Evans peint l’impressionnisme en noir et blanc. Une beauté liquide, déchirante, qui prouve qu’on peut hurler de douleur sans jamais hausser la voix.
My Favorite Things - John Coltrane
Oubliez la mélodie sucrée de La Mélodie du Bonheur. Coltrane s’empare d’une valse pour enfants et la transforme en une prière incandescente, un mantra obsessionnel. Armé de son saxophone soprano, instrument oublié qu’il ressuscite en serpent charmeur, il dessine des spirales orientales infinies. C’est le pivot : le moment précis où le jazz quitte les clubs enfumés pour viser le cosmos. McCoy Tyner martèle l’hypnose, Elvin Jones brise la métrique. Une transe modale qui ne s’écoute pas, mais se traverse comme une tempête solaire.
The Shadows - The Shadows
C’est le son de l’Angleterre grise qui rêve brutalement de Technicolor. Ici, pas de voix pour masquer le vide : juste l’électricité à nu, froide, coupante. Hank Marvin ne gratte pas des cordes, il tord de la réverbération pure. C’est une architecture sonore métallique qui claque comme un fouet sur les pavés humides de Londres. Derrière les lunettes sages et les chorégraphies raides, c’est le frisson primitif du rock qui s’infiltre. Une menace silencieuse. Ils ont transformé une guitare en objet de culte païen avant même que le mot “star” ne signifie quelque chose.

