:: L’énigme Kate Bush
Il y a chez Kate Bush quelque chose de l’apparition, de l’élémentaire, comme si le vent, le sang et la bibliothèque s’étaient incarnés en une seule voix.
Dès Wuthering Heights (1978), elle impose un chant stratosphérique, irréel, un théâtre de brume et de fièvre littéraire. À 19 ans, elle chante Emily Brontë comme d’autres crient à la lune - avec le corps, avec l’âme, avec une diction affolée. Ce n’est pas du rock, c’est une possession.
Mais Bush n’est pas que l’elfe mystique qu’on caricature parfois. Derrière le voile romantique, c’est une productrice obsessionnelle, une technicienne du son, une pionnière du home studio.
The Dreaming (1982) explose les formats : rythmiques martelées, synthés distordus, accents tribaux - une étrangeté radicale, refusée à sa sortie, sanctifiée depuis. Hounds of Love (1985), elle, fusionne expérimentation et immédiateté, dressant sur la face B un opéra intérieur d’une densité rare (The Ninth Wave), sorte de traversée de la mort et de la mémoire.
Son influence, tentaculaire, ne se mesure pas aux charts. Elle a ouvert la voie à toutes les excentriques intransigeantes - de Björk à FKA twigs, de Tori Amos à Florence Welch. Mais aucune n’égale cette alchimie de contrôle absolu et de vertige poétique.
Kate Bush ne veut pas plaire, elle veut dire. Et ce qu’elle dit, dans cette langue toute à elle, c’est l’ivresse de penser, d’imaginer, d’aimer - démesurément. Elle ne revient pas, elle surgit. Comme un rêve fiévreux qu’on croyait oublié, mais qui vous brûle encore sous la peau.