Les Années 90 : 1996
1996. Le grunge a fini de se consumer dans un dernier souffle de larsens. La terre est meuble, prête pour l'hybridation sauvage. C’est l’ère du collage total.
Les machines dévorent les guitares. Un sifflement digital traverse les vieux amplis à lampes. On danse sur les débris du XXe siècle, entre ivresse pop et mélancolie urbaine. L’avenir grésille, instable et radieux.
Odelay - Beck
Beck Hansen est le ferrailleur génial de Los Angeles. Dans ses mains, le hip-hop flirte avec la folk poussiéreuse et le punk de garage. C’est un disque-puzzle, un hold-up sonore où les samples de sitar croisent des beats de plomb. “Odelay” capture ce moment précis où le n’importe quoi devient du génie pur. Une fête foraine post-moderne où l’on célèbre le chaos avec une coolitude absolue. C’est l’album-monde qui a prouvé que le futur ne serait qu’un magnifique recyclage.
Millions Now Living Will Never Die - Tortoise
Ici, le rock oublie ses muscles pour redevenir une architecture de verre. Tortoise dessine les plans d’une ville sans fin, faite de vibraphones et de basses hypnotiques. À Chicago, on déconstruit les structures pour mieux laisser respirer le silence. C’est de l’archéologie du futur. “Djed” est le monolithe de cette ère : un voyage immobile, des répétitions dub et des cassures jazz. Un disque qui ne s’écoute pas, il s’habite. La preuve que l’abstraction possède un cœur battant.
Everything Must Go - Manic Street Preachers
Le disque de la survie, de la lumière arrachée au deuil. Les Manics sortent des ténèbres après la disparition de Richey Edwards avec des violons en bandoulière et des poings levés. C’est un rock de cathédrale, immense, blessé mais debout. On y chante la fierté prolétaire et la culture ouvrière sur des mélodies qui touchent le ciel. Chaque note est un acte de résilience héroïque. Ils ont transformé leur douleur en un hymne universel. La beauté comme seul rempart contre l’absence.

