:: Les robots rêvent-ils d’A8 autobahns ?
Ils arrivent en costards gris, visages impassibles, et transforment la pop en une chaîne de montage poétique. Kraftwerk n’est pas un groupe.
Avec leur folk-rock anguleux, leurs textes cryptiques et une honnêteté désarmante, ils ont rallumé la flamme d’un rock alternatif qui refusait de mourir.
C’est une centrale électrique déguisée en quatuor. Nés dans le sillage de la RFA post-nazie, à Düsseldorf, ils refusent les guitares et les postures anglo-saxonnes. À la place : synthés, boîtes à rythmes, vocodeurs. Une contre-culture de l’ordre.
Autobahn (1974) allonge les nappes électroniques comme des kilomètres d’asphalte, une transe minimaliste où la machine devient complice du rêve humain. Trans-Europe Express (1977) mixe la rigueur prussienne avec l’élégance décadente du continent. Le beat est sec, froid, parfait. On y croise Bowie, les fantômes de l’histoire allemande, les prémices de l’électro, du hip-hop, de la techno.
Kraftwerk, c’est la musique sans le corps - ou plutôt avec un autre corps, désincarné, cybernétique. Ils chantent la vitesse, l’ordinateur, la standardisation, mais toujours avec un second degré ironique, presque mélancolique. Sous les voix synthétiques, il y a des hommes, et sous la machine, une douleur sourde : celle de naître dans un pays coupé en deux, amnésique de ses crimes.
Leur froideur est un masque. Une élégie futuriste. Un manifeste. Le groove mécanique de The Man-Machine ou Computer World a inspiré Afrika Bambaataa autant que Daft Punk. Leur ombre plane sur Detroit, sur Sheffield, sur Berlin.
Kraftwerk n’a pas inventé le futur. Ils l’ont mis en boucle, en 4/4, avec une précision chirurgicale. Comme un mantra pour le XXIe siècle : nous sommes les robots, mais nous dansons encore.