:: L’explosion Revolver
1966. Le rock cesse de ramper, il commence à léviter. Revolver n’est pas simplement le septième album des Beatles : c’est une fracture dans l’histoire.
Fini les hurlements de fans et les stades trop sonores. Place à l’atelier de sons, au laboratoire psychédélique, à une pop qui regarde vers l’intérieur avec une intensité quasi mystique.
Dès l’ouverture, Taxman plante le décor : basse percussive, guitare acide, sarcasme politique. Harrison s’impose, mordant. Mais c’est Tomorrow Never Knows qui renverse la table. Une boucle de batterie hypnotique, des bandes inversées, une voix qui plane comme un mantra : le LSD s’invite dans la console, et c’est tout le format chanson qui explose. Lennon veut qu’on sonne comme “le Dalaï-Lama criant du sommet d’une montagne” - et on y est presque.
Chaque morceau semble conçu dans un monde parallèle. Eleanor Rigby : deux minutes de solitude glaçante portées par un quatuor à cordes tranchant. For No One : désespoir amoureux en chambre, avec cor français pour cœur brisé. Et I’m Only Sleeping, avec ses guitares en marche arrière, distille la paresse comme une science occulte.
Ce disque marque le moment où les Beatles s’arrachent au réel - mais sans fuir. Ils digèrent l’époque (le Swinging London, l’Inde, la guerre, l’ennui bourgeois) et la recrachent en pop mutante, en avant-poste d’un son encore non identifié.
Revolver n’a pas seulement ouvert les portes de la perception sonore. Il a redéfini ce que pouvait être un album : une œuvre cohérente, aventureuse, parfois inconfortable, mais toujours viscérale. Et en 33 minutes, il a prouvé qu’on pouvait être à la fois ultra-populaire et radicalement moderne.