:: Singles : Love Will Tear Us Apart, amour en ruines
Mai 1980. Quelques semaines avant que le corps d’Ian Curtis ne soit retrouvé dans sa maison de Macclesfield, Joy Division publie "Love Will Tear Us Apart".
Une chanson qui n’est pas une épitaphe, mais une confession publique d’un couple qui se délite. Curtis y met à nu l’usure d’un amour gangrené par l’ennui, la routine, et la douleur d’exister - le tout distillé dans une écriture glaciale et presque clinique.
Musicalement, c’est un paradoxe en mouvement. La basse de Peter Hook, aiguë et mélodique, semble chercher la lumière, tandis que les claviers synthétiques de Bernard Sumner enveloppent le morceau d’une brume électrique. Stephen Morris, implacable à la batterie, bat la mesure d’un cœur qui refuse de céder. La production de Martin Hannett, sèche et spectrale, accentue cette tension : chaque son est isolé, comme si les musiciens jouaient dans des pièces séparées, reliés uniquement par le fil fragile de la mélodie.
Culturellement, le morceau marque un basculement. À la fin des années 70, le punk avait crié sa rage brute. Joy Division, lui, murmure le désastre intérieur avec une intensité presque plus violente. Cette chanson, avec son refrain devenu slogan funèbre, va dépasser les cercles post-punk pour devenir un standard de la mélancolie moderne, repris, détourné, tatoué sur des peaux et des murs du monde entier.
Quarante-cinq ans plus tard, Love Will Tear Us Apart reste figée dans une paradoxale jeunesse : elle ne vieillit pas, parce que le sentiment qu’elle décrit - l’érosion silencieuse de l’amour - ne vieillit jamais. C’est un morceau qui n’a pas besoin d’élever la voix pour hurler, et qui, dans son dépouillement, atteint à une forme d’absolu. L’amour déchirera toujours, mais rarement avec autant de grâce.