Marquee Moon : quand New York s’électrise sous la pluie
1977. Au cœur d’un Manhattan qui sent la bière tiède et la poussière d’ampli, Television sort "Marquee Moon". Rien à voir avec la rage punk des voisins des Ramones.
Ici, c’est autre chose : une tension verticale, nerveuse, presque mystique. Tom Verlaine regarde le chaos droit dans les yeux, mais il le transforme en architecture. Des guitares fines comme des scalpels découpent la nuit. Chaque note semble éclairer une ruelle du Bowery.
L’album n’explose pas : il s’étire, s’enroule, s’élève. Le morceau-titre, dix minutes d’ascension en spirale, reste un ovni - un solo qui ne finit jamais, une transe de gratteux ascète. Verlaine et Richard Lloyd y tissent une conversation électrique, tendue comme une toile d’araignée entre deux immeubles. On ne sait plus si c’est du rock, du jazz ou de la poésie urbaine. C’est Marquee Moon.
La production, signée Andy Johns (Led Zeppelin, Stones), est d’une clarté presque clinique. Chaque instrument respire. Pas de surcharge, pas de frime : juste la lumière crue d’un néon sur les cordes. À l’époque, CBGB est encore un repaire d’ombres et de poètes cassés. Mais avec Television, le punk devient cérébral, presque spirituel.
On dit que Patti Smith pleurait en écoutant Verlaine jouer. Qu’un soir, entre deux bières, il aurait déclaré : “Je voulais que ça sonne comme si la guitare pensait.” Mission accomplie.
Écouter Marquee Moon, c’est comme traverser New York à quatre heures du matin, seul, avec la certitude que quelque chose de grand est en train de naître - et qu’on ne saura jamais vraiment quoi. Un disque qui n’appartient à personne, sinon à ceux qui y entendent une révélation.