Murmur : le murmure qui a fait trembler les tours de la pop
1983. Le rock ronronne sous les néons de l'hégémonie FM. Et puis, il y a ce disque. Un objet étrange, enveloppé d'une pochette cryptique, verte d'humidité et de mystère.
C’est l’arrivée de R.E.M. avec Murmur, et rien ne sera plus jamais comme avant.
Cet album n’est pas une porte, c’est une faille. Dès les premières notes de “Radio Free Europe”, on est aspiré par un son à la fois familier et totalement inédit. La basse de Mike Mills est ronde, mélodique, presque un instrument soliste. Peter Buck tricote des arpèges cristallins, évitant le riff heavy pour une texture aérienne, un jangle qui sera l’ADN de tout un mouvement. Mais le cœur de la brume, c’est Michael Stipe. Ses paroles sont ensevelies, une litanie indistincte mixée volontairement en retrait, comme si le sens profond devait rester chuchoté. C’est le son d’une intimité forcée, une réponse oblique à la clarté arrogante du rock mainstream de l’époque.
L’enregistrement à Charlotte, Caroline du Nord, sous la houlette de Don Dixon et Mitch Easter, était lui-même une expérience de tension créatrice. On raconte que l’alchimie était si volatile qu’elle a figé cette perfection imparfaite : les batteries résonnent avec une urgence minimale, les overdubs sont retenus, tout est question d’atmosphère et d’écho.
Des titres comme “Talk About The Passion” ou la splendeur mélancolique de “Sitting Still” ne s’écoutent pas, ils se respirent. C’est un voyage en train à travers le Sud américain, entre des champs de coton oubliés et des villes fantômes.
Ce n’est pas seulement un disque, c’est le manifeste de l’Alternative Nation. L’antithèse des synthés tape-à-l’œil. Murmur a donné une voix aux freaks, aux étudiants en art et aux amoureux des disques vinyles. Il a rendu la poésie et l’ambiguïté légitimes dans le rock américain. Un chef-d’œuvre. La perfection existe, et elle est voilée.

