:: Nevermind ou l'explosion d’un monde trop bien rangé
En septembre 1991, Nevermind surgit comme une grenade dégoupillée dans un salon propret.
Un disque qui ne se contente pas de briser les règles : il en raye la surface avec les ongles sales de toute une génération. Porté par Smells Like Teen Spirit, faux hymne de stade, vrai cri de ras-le-bol adolescent, Nirvana invente sans le vouloir une nouvelle forme de mainstream : brut, dissonant, viscéral.
Ce disque n’est pas seulement un tournant musical - c’est une bascule culturelle. À l’orée des années 90, l’Amérique se gave encore de pop fluo et de hair metal carbonisé. Kurt Cobain, lui, ramène tout au sol : rage punk, mélodies pop mutilées, guitares baveuses accordées en drop D, production tendue comme un câble sous la neige. Butch Vig polit les angles sans trahir l’intensité : chaque riff y suinte la frustration, chaque refrain ronge les nerfs.
Nevermind capture ce moment précis où le désenchantement devient esthétique. C’est un disque de contradictions : mélodique mais rugueux, intime mais fédérateur, accident industriel devenu manifeste générationnel. Cobain n’écrit pas des chansons : il écrit des fissures. Et à travers elles, on devine toute une jeunesse qui ne croit plus aux promesses d’ascension sociale ou au rêve américain version MTV.
L’impact ? Sismique. Nevermind déboulonne Michael Jackson, impose le mot “grunge” aux lexiques des maisons de disques et ouvre la voie à une décennie de rock mal peigné et d’âmes cabossées. Trente ans plus tard, l’album reste une gifle. Non pas une nostalgie, mais un électrochoc qui résonne toujours : la beauté dans le vacarme, le cri dans la mélodie.