Odelay : le grand collage américain
1996. Le cadavre du grunge refroidit encore sur le trottoir de Seattle. Le monde entier attend que Beck s'effondre, persuadé qu'il n'est que l'accident heureux du tube "Loser".
On lui prédisait l’oubli ; il a répondu par un hold-up. Odelay, ce n’est pas juste un album. C’est une brocante sonique qui aurait explosé dans l’espace.
Avec les Dust Brothers aux manettes (les architectes du chaos qui avaient déjà sculpté Paul’s Boutique), Beck ne compose pas, il assemble. C’est du sampling élevé au rang d’art moderne. Ici, la folk poussiéreuse couche avec le hip-hop boom-bap, la bossa nova se fait dévorer par des guitares fuzz, et Schubert croise le fer avec des beats mécaniques.
C’est le son d’une radio qu’on change de station frénétiquement au milieu de la nuit.
Prenez “Devils Haircut”. Ce riff monolithique n’est pas joué, il est martelé jusqu’à la transe. C’est le bruit mental d’une génération saturée d’images, coincée entre l’ironie et la danse. Beck y scande des slogans absurdes comme un prophète de supermarché, la voix traînante, à la fois détaché et totalement habité.
Il y a une joie féroce dans ce disque. Une liberté absolue de ne choisir aucune case.
Là où d’autres cherchaient la pureté, Beck a célébré l’impureté. Odelay est un monstre de Frankenstein, mais un monstre qui a le groove. Vingt-cinq ans plus tard, ce disque ne sonne pas “rétro”. Il sonne comme un futur qui n’a jamais eu lieu, un collage surréaliste qui refuse obstinément de vieillir.
Une œuvre majeure, foutraque et géniale.

