OK Computer : la chute dans le futur
1997. Le monde clignote. Internet s’invite dans les salons, les téléphones portables deviennent des extensions de soi, et Radiohead largue "OK Computer" comme un météore venu du XXIe siècle.
Un album qui ne raconte pas son époque : il l’absorbe, la digère, la recrache sous forme de rêve froid et d’angoisse numérique.
Dès les premières notes d’”Airbag”, la sensation est étrange : un crash ralenti, comme si on flottait dans les débris du monde moderne. Thom Yorke chante avec la voix d’un fantôme sous perfusion de Wi-Fi, pendant que les guitares s’entrechoquent, métalliques, suspendues. C’est du rock, oui, mais passé par un prisme cyberpunk - Pink Floyd dans une centrale IBM.
Chaque morceau est un fragment d’apocalypse intime. “Paranoid Android” : opéra schizophrène en quatre mouvements, mélange d’angoisse biblique et de sarcasme robotique. “No Surprises” : berceuse d’épuisement collectif. “Karma Police” : vengeance métaphysique fredonnée à mi-voix. Et derrière tout ça, la production hallucinée de Nigel Godrich - claire, précise, presque clinique - qui fait sonner la désolation comme une œuvre d’art.
Radiohead n’a pas seulement brisé les codes du rock alternatif. Ils ont ouvert une porte. Derrière, Coldplay, Muse, tous les orphelins du malaise existentiel. Mais aucun n’a su retrouver ce vertige pur : la beauté d’un disque qui prédit la solitude connectée avant qu’on ne sache la nommer.
OK Computer, c’est la bande-son du bug humain. Le bruit blanc de la modernité. Et chaque fois qu’on le réécoute, on a la même impression : celle d’être observé par les machines - et de leur ressembler un peu plus.