:: Otis Blue : le soulquake de 1965
Août 1965. Pendant que l’Amérique se déchire dans la rue pour les droits civiques, Otis Redding entre aux studios Stax et, en deux nuits fiévreuses, grave "Otis Blue/Otis Redding Sings Soul".
Un titre-programme, brut comme un cri dans une église, taillé pour secouer l’Amérique blanche engourdie par ses propres certitudes.
Ici, Otis ne chante pas seulement. Il transpire chaque note. Sa voix, râpeuse, haletante, dévore tout sur son passage : la reprise de “Satisfaction” arrache les Stones à la nonchalance anglaise pour leur rendre la sueur du Sud. “Respect”, avant d’être kidnappée par Aretha, sort de sa bouche comme une injonction biblique. Et “A Change Is Gonna Come” ? Chez Sam Cooke, elle pleure. Chez Otis, elle rugit.
Musicalement, c’est un précipité de Memphis : Booker T. & the MG’s, The Mar-Keys, cuivres claquant comme un fouet, basse qui se glisse entre les hanches, batterie sèche, élastique. Tout est direct, urgent, rien ne déborde : une soul tendue, viscérale, qui regarde droit dans les yeux l’Amérique ségréguée.
Mais Otis Blue n’est pas qu’un disque. C’est une déflagration qui ouvre un sillon : celui d’une soul sans fard, affranchie du vernis Motown, brute comme le gravier sous les pneus d’un bus de tournée. Otis, vingt-quatre ans, n’a plus qu’un peu plus de deux ans à vivre. Il ne verra pas son rêve d’un Sud réconcilié. Mais il laisse cet album, bloc de chair et de fièvre, comme un testament : la soul est bien plus qu’un divertissement. Elle est une prière profane, une arme, une danse, une blessure qu’on chante à pleins poumons.
Et sur la platine, encore aujourd’hui, Otis Blue brûle.