Otis Redding : l'homme qui a brûlé le fleuve de l'âme
Otis Redding. Ce n'est pas un nom, c'est une braise qui crépite. Il est la voix essentielle, celle qui fait le pont entre la ferveur rugueuse du gospel et la sophistication naissante de la soul.
Nous sommes au milieu des années 60, l’Amérique est en pleine mutation. Et dans le studio enfumé de Stax Records à Memphis, un jeune homme de Macon, Géorgie, est sur le point d’injecter une urgence viscérale dans le R&B.
Sa technique ? Un style de chant qui ne glisse pas, mais qui s’écrase sur la mélodie. C’est un cri, une supplique, parfois un bégaiement d’émotion brute, comme sur “Try a Little Tenderness” où il commence en douceur pour finir en volcan. L’osmose avec les musiciens de Stax, les légendaires Booker T. & the M.G.’s, est électrique. Pas de partition compliquée : juste un groove imparable, propulsé par le jeu de basse rond et la batterie sèche.
Sur scène, il était une bête. La sueur perlait, la cravate se desserraient. Il donnait tout. La preuve : il a rendu la ville de San Francisco folle lors du Monterey Pop Festival de 1967, un sanctuaire hippie qui n’attendait pas un homme en costume. Le choc. Une déflagration.
Mais le destin, souvent, n’est qu’une pirouette cruelle. Au sommet de son art, après avoir enfin trouvé le succès grand public avec ce murmure doux-amer qu’est “(Sittin’ On) The Dock of the Bay”, sifflé comme une réflexion intime au bord de l’eau, l’avion s’écrase. Le 10 décembre 1967. L’œuvre est scellée, figée dans une perfection déchirante. Ce titre deviendra son plus grand succès, un post-scriptum mélancolique. Redding ne l’a jamais entendu inonder les ondes. Il nous reste sa voix, la plus grande, celle d’un géant qui a brûlé trop vite, laissant derrière lui une cicatrice sonore que l’on nomme l’âme.

