Pavement : les poètes du dérèglement
Il y a dans Pavement quelque chose d’étrangement américain : un chaos organisé, une élégance dans la négligence.
Comme si les Stones avaient grandi dans un garage californien à lire Burroughs entre deux riffs de Sonic Youth. Formé à Stockton au tournant des années 90, le groupe de Stephen Malkmus a débarqué au moment exact où le rock alternatif cessait d’être un secret. Et plutôt que d’en profiter, Pavement a choisi l’esquive - la désinvolture comme manifeste.
Slanted and Enchanted (1992) fut un coup de tonnerre enregistré à la va-vite : des guitares qui grincent, une batterie qui tangue, des mélodies qu’on croirait accidentelles mais qui tombent toujours juste. La voix nonchalante de Malkmus semble commenter le monde en direct, avec ce ton ironique, presque blasé, qui cache une mélancolie profonde. Ce n’est pas de la lo-fi par pauvreté, mais par conviction : un art du flou pour mieux dire la vérité.
Pavement, c’est aussi l’humour : des paroles absurdes, des titres cryptiques (Cut Your Hair, Range Life) et cette manière unique de saboter leurs propres hymnes sur scène, comme si la perfection les rendait nerveux. On ne sait jamais si c’est du génie ou de la feinte, et c’est précisément là que réside leur grâce.
Leur influence s’étend bien au-delà des années 90 : chaque groupe indé qui prétend “ne pas se prendre au sérieux” leur doit quelque chose. Pavement a prouvé qu’on pouvait être brillant sans le montrer, bancal mais lumineux. Une esthétique du presque - où chaque fausse note devient un éclat de vérité.
Écouter Pavement aujourd’hui, c’est rouvrir un carnet d’adolescence : ratures, ironie, beauté brute. Le son d’une génération qui a préféré le doute à la posture.


