River Deep - Mountain High : un sommet sacrifié
"River Deep - Mountain High", c’est l’écho d’un rêve de grandeur fracassé contre le mur du réel.
En 1966, Phil Spector convoque les dieux : Tina Turner, volcan vocal à la rage inextinguible, et son "Wall of Sound", cathédrale sonore construite pour l’éternité. Le résultat est une apocalypse orchestrale, un ouragan de cordes, de percussions et de chœurs, transpercé par la voix de Tina, incandescente, comme si elle hurlait pour sauver sa peau.
Mais l’Amérique blanche boude. Trop noir, trop femme, trop fort. Le single s’écrase aux États-Unis, tandis qu’il explose en Europe, salué comme l’évangile d’une soul baroque. Cette injustice historique souligne tout le paradoxe du morceau : chef-d’œuvre absolu, mais orphelin de reconnaissance immédiate.
À l’époque, Ike est relégué au rôle d’accompagnateur : la chanson ne lui appartient pas. Elle est le cri d’émancipation d’une femme prisonnière.
Aujourd’hui, "River Deep - Mountain High" résonne comme un acte de foi et de feu. Une déclaration d’amour tellement excessive qu’elle touche au sacré. C’est la soul qui s’habille en tragédie grecque. Et la voix de Tina, traversant les âges, en reste l’incantation sublime et irréductible.