Sign O’ the Times : le point de bascule de Prince
Dès l’ouverture, l’album vous saisit : guttural, minimal, électrisé. "Sign-O’-the-Times" est le cri d’un monde en pleine mutation, un défi lancé au pop-format, dans ce qu’il y a de plus pur et féroce.
Sorti en mars 1987, ce neuvième album de Prince marque la fin de l’ère de The Revolution et le début d’une liberté totale. Alors que le rap monte, que la technologie s’impose et que les fissures sociales deviennent visibles, l’artiste se fait l’oreille et la voix d’un moment : sida, crack, Cold War… tout est frôlé dans le titre introductif.
Musicalement, l’album est une matrice. Prince joue presque tout lui-même : guitare, basse, Linn LM-1, Fairlight, voix. La structure est éclatée sans être chaotique : un morceau de funk féroce (Housequake), un champ de ballades sublimes (Adore), un récit d’école psi-pop (Starfish & Coffee), tout est là et relié. Et la production, bien qu’emprisonnée dans les sonorités des années 80, se déploie avec une maîtrise rare. “The Cross” passe d’une sitar quasi acoustique à un mur de fuzz rock ; “If I Was Your Girlfriend” manipule la voix et les rôles, intime et dérangeant.
Quelques anecdotes : l’album est né après l’abandon de projets antérieurs comme Dream Factory ou Camille, fusionnés finalement dans ce double-LP que ne souhaitait pas l’étiquette. Le morceau live “It’s Gonna Be a Beautiful Night” vient d’un concert à Paris en 1986, comme un clin d’œil à l’instantané et au spectacle brut.
Et puis, oui, je l’avoue : je l’écoute encore et il me happe. Le funk binaire me fait penser à une boîte à rythmes qui s’est émancipée, l’émotion brute d’une guitare qui pleure ou qui tempête. Ce n’est pas seulement un disque de pop, c’est une météorite dans la carrière de Prince, un “je-prends-tout-ce-que-je-suis” lancé comme un pont vers l’inconnu.
En fin de compte, Sign-O’-the-Times est moins un chef-d’œuvre figé qu’un moment vécu, électrique, politique, sensuel, où Prince touche à l’éternel en refusant les limites.

