:: Sign 'O' the Times : Prince, chaos et génie pur
En mars 1987, Prince sort Sign 'O' the Times, un double album qui transcende le funk, la soul, la pop et le rock pour dresser un autoportrait électrique d’une époque désenchantée.
Porté par un son brut et novateur, le disque est un manifeste solo : Prince a presque tout joué, tout produit, tout reconstruit après l’échec commercial du projet Crystal Ball. Il en résulte un kaléidoscope sonore, éclaté mais cohérent, où chaque piste creuse une veine différente, avec urgence et liberté.
Dès le morceau-titre, Prince tranche dans le vif : Sida, crack, guerre froide - le constat est implacable, livré sur un groove minimaliste, comme une nouvelle bible du désenchantement urbain. Puis il dérape avec délice : Housequake explose en funk mutant, The Ballad of Dorothy Parker ondule dans une langueur psychédélique, If I Was Your Girlfriend renverse les genres et les désirs, avec cette voix trafiquée qui semble venir d’un autre monde. Adore, enfin, clôt l’album comme un gospel amoureux venu d’un futur vintage.
Ce disque est un précipité de contradictions : lo-fi et virtuose, intime et cosmique, sexuel et spirituel. Prince y abandonne les artifices de Purple Rain, pour mieux s’aventurer dans les marges. Le son est parfois rêche, presque inachevé, mais toujours viscéral. À l’heure des Reaganomics et de l’uniformisation des radios FM, il impose un art libre, inclassable, furieusement contemporain.
Sign 'O' the Times n’est pas qu’un sommet de sa discographie. C’est un des rares albums à saisir l’instant où un artiste, seul contre tous, décide de jouer avec le chaos plutôt que de le fuir - et en fait jaillir une beauté fulgurante.