:: Slanted and Enchanted : l’irrévérence en lo-fi
1992. Alors que Seattle sue le grunge par tous les pores, cinq types de Stockton, Californie, balancent un pavé dissonant dans la mare.
Slanted and Enchanted, premier album de Pavement, sonne comme un fanzine enregistré à l’arrache - et pourtant, tout est là : l’imperfection érigée en étendard, l’ironie sèche, la poésie cabossée.
Dès Summer Babe, on comprend : la voix traîne, les guitares grincent, la batterie tangue comme un radeau percé. Mais sous ces riffs branlants, une précision retorse surgit : chaque fausse note est une claque à l’industrie, chaque refrain bancal une bouée pour l’underground. Pavement n’écrit pas des hymnes, il fabrique des épaves glorieuses, des chansons à moitié détruites qui tiennent debout par miracle - ou par génie.
Dans ces treize titres, on croise l’Amérique vue d’un canapé : sarcasme sur la culture pop (Trigger Cut), fulgurances dada (Conduit for Sale!), non-sens brillant (Here). Une guitare slide crisse, une basse surgit, un feedback racle le vernis. On jurerait entendre la rouille se propager. Derrière le chaos, un art du collage : le Velvet Underground déglingué par la poussière du lo-fi, l’énergie punk digérée par des intellos du désert.
L’impact ? Immense. Pavement ouvre la brèche pour toute une génération : l’indie peut rester fauché, désinvolte, ironique - et magnifique. Slanted and Enchanted n’est pas seulement un disque : c’est une injonction à tout foutre en l’air pour retrouver l’étincelle. Un album qui ricane, boite et reste debout. Comme un graff griffonné sur un mur trop propre.