Stevie Wonder : l’éclat dans l’obscurité
Stevie Wonder n’a jamais eu besoin de ses yeux pour voir plus loin que tous les autres.
Né Stevland Hardaway Judkins en 1950, aveugle depuis la naissance, il signe à 11 ans chez Motown et retourne le label comme une chaussette satinée. Très vite, il dépasse la simple mascotte prodige pour devenir l’architecte sonore d’une Amérique qui vacille entre rêve et révolte.
Entre 1972 et 1976, il érige un sanctuaire de vinyle : Talking Book, Innervisions, Fulfillingness’ First Finale, Songs in the Key of Life. Ces disques, traversés d’arpèges électriques, de grooves Moog et de chœurs célestes, sont des manifestes : chaque note est un coup de projecteur sur un monde qui se délite. Il mélange funk, soul, jazz, pop comme on touille la réalité pour la rendre digeste, mais chez lui, ça déborde toujours.
Écoutez Living for the City : la basse synthétique claque comme une gifle, le chant s’étire, haletant, prophétique. Stevie sculpte ses chansons comme des chroniques : il y raconte l’Amérique raciste, les illusions de l’ascension sociale, la tendresse qu’il faut sauver malgré tout. Sur Superstition, la batterie se cabre, l’harmonica crache des flammes, la danse devient insurrection.
Stevie Wonder est ce funambule entre joie et colère. Derrière ses lunettes fumées, il ouvre une brèche où tout reste possible : aimer, danser, croire. Sa musique n’est pas un refuge, mais un moteur. Un héritage qu’on entend chaque fois qu’un clavier ose parler politique, qu’un refrain ose croire en demain. Un visionnaire aveugle : la plus belle ironie de la soul.