Sticky Fingers : poisse, désir et décadence
Sorti en 1971, Sticky Fingers marque l’entrée des Rolling Stones dans la décennie avec une assurance carnassière.
C’est l’album d’un groupe qui ne cherche plus à conquérir quoi que ce soit - il possède déjà tout. Les cœurs, les radios, et même le chaos.
Première livraison sur leur propre label (avec cette pochette culte au zip provocateur), Sticky Fingers est plus qu’un disque : c’est une déclaration de souveraineté artistique. Et ça s’entend. Les guitares de Richards et Taylor tranchent net ou pleurent long, selon les morceaux, toujours au bord de la rupture. “Brown Sugar” ouvre le bal dans une transe sucrée-amère, riff féroce et paroles sulfureuses, tandis que “Wild Horses” renverse tout dans un dépouillement d’une beauté écrasante.
On y entend l’Amérique fantasmée par des Anglais en pleine dérive - country dévoyée, blues moite, soul cuivrée. “Sway” tangue entre extase et naufrage, “Sister Morphine” traîne les pieds dans l’ombre froide des hôpitaux et des nuits blanches. Chaque chanson semble saigner un peu de son auteur, comme si Jagger et Richards s’étaient arraché les morceaux à mains nues.
Musicalement, la précision est chirurgicale : le groove de Watts, la basse ramassée de Wyman, les arrangements à l’économie trahissent une maîtrise redoutable. Mais ce qui sidère, c’est ce mélange de luxure et de lucidité, d’élégance et de saleté. Sticky Fingers n’est pas juste un grand album rock ; c’est le point de bascule où le mythe se fige, juste avant la chute.
Un chef-d’œuvre dégoulinant de sexe, de douleur et de style.